Une
étude publiée aujourd’hui dans la revue PLOS ONE et menée par un
chercheur du Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les
paléoenvironnements (CR2P – Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/UPMC) met en évidence l’impact catastrophique d’un changement climatique
passé sur les faunes européennes de ruminants. Un réchauffement
climatique et des changements environnementaux survenus il y a environ
24,5 millions d’années ont provoqué le remplacement de l’intégralité de
la faune de ruminants préexistante par des migrants venus d’Asie.
La
Terre a déjà subi par le passé des changements climatiques qui ont
engendré des crises biologiques. L’une d’entre elles s’est produite il y
a environ 24,5 millions d’années durant le Late Oligocene Warming. Ce
réchauffement (une augmentation de 2 à 4 °C des eaux océaniques de
l’Atlantique Nord), associé à la naissance des Alpes, a provoqué une
aridification et l’apparition de la saisonnalité en Europe ;
l’établissement de savanes contraste avec les environnements
préexistants, sans saison et dominés par des forêts.
De précédentes
analyses réalisées par une équipe franco-suisse (Scherler L. et al.
(2013), Evolutionary history of hoofed mammals during the
Oligocene-Miocene transition in Western Europe) ont montré une
modification importante des espèces de grands mammifères herbivores à
cette époque : 40 % de cette faune a changé entre 25 et 24 millions
d’années, à la suite d’une immigration asiatique massive que cette
équipe a nommée Microbunodon Event (du nom du cousin ancestral des
hippopotames de petite taille, environ 50 kg, emblématique migrant
asiatique arrivant en Europe à cette époque-là). Bastien Mennecart,
chercheur au CR2P (Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/UPMC),
vient de publier un article dans PLOS ONE dans lequel il montre, sur la
base de cinq années de recherches, que l’intégralité des espèces de
ruminants européens a été renouvelée au moment du Microbunodon Event.
Les
ruminants sont actuellement l’un des groupes de grands mammifères les
plus diversifiés avec plus de 200 espèces, et la majorité d’entre eux
appartiennent ainsi au groupe des Pecora ; ils possèdent quatre poches
stomacales facilitant l’ingestion d’aliments riches en fibres et peu
énergétiques. Les Tragulina, qui étaient largement majoritaires au cours
de l’Oligocène, se distinguent par une réduction ou absence d’une des
quatre poches stomacale et par un régime alimentaire plus énergétique
(fruits, champignons, insectes et même petits mammifères). La
dégradation des conditions environnementales due à un changement du
couvert végétal et du climat, associée à la compétition avec des Pecora
venus d’Asie, a sonné le glas des Tragulina en Europe. En effet, dans
ces conditions climatiques plus arides, les nouveaux ruminants ont
supplanté les Tragulina grâce à un métabolisme plus efficace, capable
d’assimiler de la nourriture pauvre énergétiquement. Les Tragulina ne
comptent aujourd'hui que 10 espèces localisées en zone équatoriale, les
chevrotains.
À l’heure actuelle, la Terre connaît un réchauffement
climatique dont les conséquences restent pour le moment mal connues. La
connaissance des changements climatiques antérieurs et de leurs
conséquences sur la biodiversité apporte une aide précieuse pour
interroger notre futur.
Répartition des faunes de ruminants entre 25 et 24 millions d’années en Europe de l’Ouest (Les Pecora immigrants sont tournés vers la gauche, les ronds noirs correspondent aux sites fossilifères) © Bastien Mennecart – CR2P |
Mennecart,
B. (2015) The European ruminants during the "Microbunodon Event" (MP28,
latest Oligocene): Impact of climate changes and faunal event on the
ruminant evolution.
PLOS ONE, 18 février 2015.